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faudrait dire « possède une chance correspondante de bonheur ». Mais il faut faire abstraction « de la sensibilité particulière des individus et des circonstances extérieures où ils peuvent se trouver », à moins de vouloir s'interdire toute espèce de proposition générale et c'est assez, pour justifier ces deux abstractions, nous dit Bentham, si, d'une part, elles approchent plus de la vérité que toutes celles qu'on pourrait leur substituer, d'autre part, si elles peuvent avec moins d'inconvénient que toutes autres servir de base au législateur. C'est donc, semble-t-il, traduire exactement la pensée de Bentham, de dire qu'il faut être égalitaire dans la mesure où l'on veut fonder une science des mœurs à titre de science rationnelle.

Vienne une crise révolutionnaire, on verra les adeptes du principe de l'utilité se partager en deux factions extrêmes, les uns allant tout droit au communisme égalitaire, les autres se faisant les apologistes du principe héréditaire et traditionaliste. Quant à la philosophie utilitaire proprement dite, celle que Bentham travaille déjà à fonder, celle dont il sera un jour le chef reconnu, elle semble déjà devoir se tenir à égale distance des deux extrêmes. Pour quelles raisons? Elles sont multiples et ne se sont pas encore révélées toutes à l'intelligence de Bentham; mais l'égalitarisme modéré, qui sera plus tard celui de la secte, trouve déjà son expression précise dans les manuscrits d'où Dumont extrait les «<Traités ». « Quand la sûreté et l'égalité sont en

conflit, il ne faut pas hésiter un moment. C'est l'égalité qui doit céder... L'établissement de l'égalité n'est qu'une chimère tout ce qu'on peut faire, c'est de diminuer l'inégalité ».

II

DROIT PÉNAL

Le droit pénal définit les délits, et, pour les réprimer, édicte des peines. Or, la conception de la peine, de même que la conception de l'obligation, varie, selon qu'on se place au point de vue du principe de l'utilité, ou au point de vue professionnel de la corporation judiciaire.

Le magistrat prend l'habitude, en quelque sorte professionnelle, de frapper d'une peine chacun des délits qui sont soumis à son examen. Il finit donc par associer inséparablement l'idée de peine avec l'idée de délit; il finit par croire qu'entre ces deux termes il existe une liaison naturelle, que le délit, en vertu de son essence mème, appelle la peine, que le délinquant mérite d'être puni. Il en est de la notion de mérite, en droit pénal, comme de la notion d'obligation, en droit civil le système « technique » la pose comme primitive, inex

plicable par une notion plus simple. A ce point de vue, la peine apparaît comme un bien, puisqu'elle est l'expression de l'ordre légal.

et

Cette conception de la pénalité a pris corps dans la philosophie classique du droit: Montesquieu, libéral et réformateur, mais magistrat de profession et attaché, malgré tout, aux préjugés de la profession à laquelle il appartient, considère les lois comme étant des «< rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses », tient pour évident, en vertu d'un rapport d'équité antérieur à toute loi positive« qu'un être intelligent qui a fait du mal à un être intelligent mérite de recevoir le même mal». Il propose, en conséquence, afin de suspendre, en matière de droit, le règne de l'arbitraire, de faire en sorte que la peine ne descende point « du caprice du législateur, mais de la nature de la chose », et demande qu'on établisse une analogie qualitative entre le délit et la peine. Il est de la nature, par exemple, que la peine des crimes contre la sûreté des biens soit punie par la perte des biens. La peine, ainsi conçue, devient une « espèce de talion » ; elle est « tirée de la nature de la chose, puisée dans la raison et dans les sources du bien et du mal »1. Montesquieu espère, en établissant ainsi une sorte de liaison objective entre la nature du délit et la nature de la peine, soustraire la détermination des peines à ce qu'il appelle « le caprice du législateur » ; Bentham pense cependant que la doctrine de Montesquieu se fonde encore sur ce qu'il appelle le principe « arbitraire », le principe de sym

pathie et d'antipathie. Peut-être est-ce le principe de sympathie qui fait parler du délit comme méritant la peine. L'équation des deux termes satisfait comme un besoin de symétrie de notre esprit ; il y a là comme une perversion professionnelle des idées et des sentiments. Cependant c'est surtout, ici, le principe d'antipathie qui prévaut. « C'est le principe d'antipathie qui fait parler du délit comme méritant une peine; c'est le principe correspondant de sympathie qui fait parler de telle action comme méritant une récompense; ce mot mérite ne peut conduire qu'à des passions et à des erreurs. » Le XVIIIe siècle lui-même, dans la plus grande partie de l'Europe, jusqu'aux environs de 1760, fonde le droit de punir sur les exigences de la « vindicte publique ». « Les hommes, écrit Bentham vers 1773, punissent parce qu'ils haïssent... on leur dit qu'ils doivent haïr les crimes; on leur fait un mérite de haïr les crimes... Comment puniraient-ils si ce n'est dans la mesure où ils haïssent?... Quelle mesure est plus claire? Pour savoir s'ils sont d'accord pour haïr, pour savoir, de deux crimes donnés, lequel ils haïssent qu'ont-ils à faire, si ce n'est de consulter leurs sentiments?3 »

le plus

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Mais précisément l'objet de Bentham, en appliquant le principe de l'utilité aux choses de la morale et de la législation, c'est de faire prévaloir, en ces matières, le règne du calcul sur celui de l'instinct et du sentiment. Au point de vue du magistrat professionnel, la peine, qui satisfait au goût de la symétrie, à l'instinct de la

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