Imagens das páginas
PDF
ePub

inassignables sont, ou la totalité des individus qui constituent la communauté, ou un groupe subordonné de cette communauté 26. D'où quatre classes de délits : privés, qui portent sur un ou plusieurs individus assignables, autres que l'agent; semi-publics, qui portent sur un groupe d'individus inassignables autres que l'agent; réflectifs, qui portent sur l'agent; publics, qui portent sur la totalité de la communauté.

On peut diviser, par l'application de la méthode dichotomique, chaque classe à son tour, si l'on excepte la quatrième, à propos de laquelle Bentham s'avoue impuissant à observer rigoureusement la règle posée en commençant 27. Qu'il s'agisse des délits privés ou des délits réflectifs, la méthode à suivre est la même. Le bonheur d'un individu dépend en partie de sa personne, en partie des objets extérieurs qui l'entourent. Ces objets extérieurs d'où son bonheur dépend sont ou bien des choses et constituent sa propriété, ou bien des personnes, dont il attend soit des services, en raison de sa condition légale, soit simplement ces égards de bienveillance, qui constituent la réputation. Il y aura done des délits contre la personne, des délits contre la réputation, des délits contre la propriété, et des délits contre la condition 28. La même division s'applique au moins en partie aux délits semi-publics, si seulement on distingue les cas où le mal qui résulte de ces délits est inintentionnel (délits fondés sur quelque calamité, par exemple une inondation, une contagion, un incendie), d'avec ceux où il est intentionnel (délits de pure malice),

et si l'on s'attache à la considération de ceux-ci, qui seront encore des délits contre la personne, contre la réputation, contre la propriété, ou contre la condition 29.

La même méthode permet encore, dans chaque division de chaque classe, de distinguer des genres. Soit la première division de la première classe : délits privés, délits contre la personne. La personne est composée, ou supposée composée de corps et d'âme. Les actes qui exercent une influence malfaisante sur la partie corporelle de la personne peuvent l'exercer soit d'une façon immédiate, sans affecter la volonté de la personne, soit d'une façon médiate et par l'intermédiaire de cette faculté. Lorsqu'elles l'exercent d'une façon médiate, c'est au moyen d'une contrainte mentale, qui s'appelle proprement contrainte, dans le cas où elle nous impose une façon positive d'agir, restriction, dans le cas où elle tendra à nous interdire d'agir d'une certaine façon déterminée 30. La surface de la terre pouvant se diviser tout entière en deux parties, l'une plus grande et l'autre plus petite, la restriction s'appellera confinement, dans le cas où la partie de la terre dont l'accès nous est interdit est plus grande que l'autre, bannissement dans le cas contraire. Si les actes malfaisants le sont immédiatement, ils sont ou mortels, ou non mortels. Si non mortels, ils sont réparables, et ce sont des injures corporelles simples, ou irréparables, et ce sont des injures corporelles irréparables. D'autre part, si le mal qui résulte de l'acte est éprouvé par la partie spirituelle de la personne, la peine éprouvée est ou d'appréhension,

et le délit s'appelle menace - ou de souffrance positive, et le délit s'appelle injure mentale simple. De là neuf genres de délits contre la personne, obtenus par dichotomie injures corporelles simples; injures corporelles irréparables; restriction injurieuse simple; compulsion injurieuse simple; confinement illégitime; bannissement illégitime; homicide illégitime; menaces illégitimes; injures mentales simples 31. Nous sommes parvenus au point où l'application de la méthode dichotomique nous ramène en présence des formes de délit connues, et où, les principes étant posés, il devient inutile, à moins de rédiger un code proprement dit, d'aller plus avant. Bentham poursuit l'application de la méthode de classification par dichotomie aux trois autres genres de la première classe: là, encore une fois, il s'arrête. Une analyse régulière ne saurait s'appliquer ni aux délits réflectifs (la question préalable se posant, de savoir s'il convient de légiférer à ce sujet), ni aux délits semi-publics ou publics, eu égard à la complication des circonstances locales 32.

[ocr errors]

La classification des délits, ainsi conçue, est une classification « naturelle », parce que, fondée exclusivement sur le principe de l'utilité, elle ignore les motifs qui peuvent avoir inspiré les actes dénommés délictueux, et ne tient compte, à la différence d'une classification « sentimentale », que des conséquences, diversement nuisibles à la collectivité, de l'acte une fois commis. Elle est encore, dans l'esprit de Bentham, une classification « naturelle », par opposition à une

classification « technique », parce qu'elle ignore les peines dont les tribunaux, dans un temps et un pays donnés, ont coutume de frapper les actes jugés délictueux. Bref, elle ignore les préjugés locaux; par où le système « naturel » de jurisprudence, au sens où Bentham l'entend, se rapproche du « droit naturel », au sens classique de l'expression. Le droit ancien, celui dont Bentham réfute les généralités arbitraires, distingue entre des lois naturelles, éternelles et universelles, et des lois positives, variables avec les temps et les lieux. Mais l'analyse de Bentham a le double mérite de démontrer que cette distinction est vaine (car toutes les lois sans exception sont ou doivent être fondées uniquement sur un calcul d'utilité) et de l'expliquer, de lui donner une justification relative dans un système fondé sur le principe de l'utilité. L'analyse des délits, nous dit Bentham, a été menée par lui jusqu'au point où les divisions obtenues cesseraient de valoir pour toutes les nations sans exception. Et c'est pour cette raison qu'il a poussé l'analyse de la classe des délits privés plus loin que celle des autres classes. Car la première classe des délits est privilégiée. Les délits privés présentent, entre autres caractéristiques, celle d'être partout, et de devoir être partout réprouvés par la censure de l'opinion d'une façon plus énergique que les délits semi-publics en tant que tels, et surtout que les délits publics; d'être réprouvés d'une façon plus constante par l'opinion que ne le sont les délits réflectifs (ils le seraient universellement, n'était l'influence

exercée par les deux faux principes de l'ascétisme et de l'antipathie); d'être moins aptes que les délits semipublics et publics à recevoir des définitions différentes selon les états et les pays (par où ils ressemblent aux délits réflectifs) 33. Ces trois caractéristiques, et surtout la dernière, expliquent pourquoi ces délits ont été tenus par les juristes pour constituer autant d'infractions à une loi naturelle supposée douée d'une existence supérieure aux lois écrites de tous temps et de tous pays. Cette loi naturelle est, aux yeux de Bentham, une fiction. Elle correspond cependant, on le voit, dans son système, à une réalité 34. Rien ne ressemble moins à l'empirisme d'un historien, d'un <«< antiquaire », comme Montesquieu, que la doctrine de Bentham. Ce que Bentham enseigne, avec des formules nouvelles, c'est encore un droit fondé sur la connaissance de la nature universelle de l'homme (Bentham emploie le mot en ce sens), capable de servir pour la jurisprudence de toutes les nations, « dont la langue servira de dictionnaire pour expliquer tous les systèmes de droit positif, dont le contenu servira de modèle pour les juger tous » 35.

Mais le législateur ne définit les délits qu'en vue de les prévenir par des peines. Reste donc, après avoir défini et classé les délits, à définir et à classer les peines. Or, dans la philosophie de l'utilité, le délit et la peine, qui diffèrent par leurs effets, ne diffèrent point par leur nature intrinsèque les peines et les délits sont également des maux infligés par la libre intervention de l'activité des hommes. Il est donc à prévoir que

« AnteriorContinuar »