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montrer, dans le mécanisme des lois de la nature, la justification de l'optimisme chrétien. Du moins veut-il fonder une << psychologie 13» (le mot ne se rencontre, croyons-nous, chez nul de ses prédécesseurs), théorie de l'intelligence humaine et de l'intelligence animale, branche de la philosophie naturelle », science qui présentera un caractère déductif, ou « synthétique », aussitôt que les « lois générales » qui en gouvernent les «< phénomènes » auront été découvertes par « analyse 13 » . Hartley introduit, de la sorte, franchement en psychologie la méthode et la terminologie de Newton 4. Il simplifie, d'ailleurs, à l'extrême l'explication des faits, et ramène toutes les associations au type unique de l'association par contiguïté. Il combine sa théorie psychologique avec une théorie physiologique 15, dont l'idée première a été encore empruntée à Newton, et où les « vibrations en miniature » ou « vibratiuncules » prennent la place des « traces » cartésiennes : n'est-on pas en droit de considérer que ces préoccupations de physiologiste et de médecin ont peut-être contribué à former, chez Hartley, la conviction déterministe et la disposition à rendre compte scientifiquement du mécanisme des phénomènes mentaux? En 1774, Priestley, disciple de Locke, de Gay et de Hartley, lit l'« Enquête sur l'Esprit Humain » du docteur Reid, s'afflige de voir que la tentative de ses maîtres pour fonder une science positive des phénomènes de l'esprit humain risque d'avoir échoué, écrit tout un livre pour réfuter Reid, Oswald, Beattie, et annonce son intention de

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rééditer, avec l'autorisation du fils de Hartley, les « Observations sur l'Homme ». Hartley lui-même avait admis que la partie psychologique et la partie physiologique de son livre n'étaient pas indissolublement liées l'une à l'autre 17: en 1775, Priestley publie « la Théorie de l'Esprit Humain de Hartley, fondée sur le principe de l'association des idées 18 », édition abrégée des « Observations » où il supprime tout ce qui concerne la doctrine des vibrations, « afin, nous dit-il, de simplifier la doctrine et de faire de la doctrine de l'association le seul postulat, la seule chose prise pour accordée dans cet ouvrage L'édition devient vite populaire, et fonde décidément la renommée de Hartley. Bentham y renvoie dans une note de son « Introduction aux Principes de Morale et de Législation 20», où il explique l'influence de l'habitude par l'opération du principe de l'association des idées; il reconnaîtra, dans une autre occasion, avoir appris de Hartley à considérer le bonheur comme une somme de plaisirs simples, unis par association. Le succès du livre prouve que le public anglais ratifie le jugement porté par Priestley: « quelque chose a été fait sur le domaine du savoir par Descartes, beaucoup par Locke, mais beaucoup plus par le docteur Hartley, qui a jeté sur la théorie de l'esprit une lumière plus féconde que n'a fait Newton sur la théorie du monde naturel 21 ».

Or Hume, avant Hartley, dans son « Traité de la Nature Humaine », paru en 1738, puis dans son « Enquête sur l'Entendement Humain », avait essayé déjà d'interpréter tous les phénomènes de la vie mentale en se fon

dant sur le principe de l'association des idées ; et Hume est un penseur infiniment plus pénétrant que Hartley. Malgré cela, ou peut-être même à cause de cela, sa philosophie renferme une ambiguïté fondamentale, qui fera toujours hésiter les doctrinaires de l'associationisme à le tenir pour leur maître.

Hume, assurément, nous offre son traité comme <<< une tentative pour introduire la méthode expérimentale dans le traitement des sujets moraux 22 ». Il veut faire, pour la philosophie morale, ce que Newton a fait pour la philosophie naturelle, et croit avoir découvert, avec le principe de l'association, «un genre d'attraction auquel on trouvera, dans le monde mental, des effets aussi extraordinaires que dans le monde matériel, et des manifestations aussi variées 23 ». Les phénomènes psychologiques s'attirent les uns les autres, sont soumis, selon la déclaration formelle de Hume, à des relations de causalité « la conjonction constante de celles de nos perceptions qui sé ressemblent est une preuve convaincante que les unes sont les causes des autres 24 >>. Car l'établissement d'une science morale suppose le déterminisme moral le principal emploi de l'histoire n'est-il pas « de découvrir les principes constants et universels de la nature humaine, en nous montrant les hommes dans les circonstances et les situations les plus variées, et nous fournissant les matériaux grâce auxquels nous pourrons former nos observations et devenir familiers avec les ressorts normaux de l'action. et de la conduite humaines 25 »? Et toute espèce d'action

sociale ne suppose-t-elle pas comme possible l'établissement d'une science sociale? Toutes les lois, fondées sur des récompenses et les peines, supposent que les mobiles de l'espérance et de la crainte exercent sur l'esprit une influence régulière et uniforme capable de produire les actions bonnes et de prévenir les actions mauvaises. << Si grande, nous dit Hume, est la force des lois et des formes particulières de gouvernement, elle dépend si peu des variations d'humeur et de caractère des individus, que, parfois, on peut en déduire des conséquences presque aussi générales et aussi certaines que toutes celles que peuvent nous donner les sciences mathématiques 26 ». Quel penseur manifesta jamais plus de confiance en la raison humaine? Quel savant crut jamais. plus fermement à la possibilité de transformer la science théorique en science pratique ?

Mais, à côté de cette tendance systématique, on rencontre, chez Hume, une tendance qui la contredit. Il existe assurément des lois, ou, si l'on veut des «< principes 27 », pour respecter la terminologie de Hume, qui unissent les images entre elles: le principe d'association par ressemblance, notamment, et le principe d'association par contiguïté. Mais leur action n'est ni infaillible ni exclusive. Ce sont des principes « généraux » qui mettent entre les idées des connexions «< faibles »> et laissent place à l'indétermination dans l'enchaînement des phénomènes psychologiques. Il n'y a pas, entre les idées, de connexions inséparables; et Hume ne se lasse pas d'insister<< sur la liberté que possède l'imagination

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de transposer et changer ses idées 28 ». C'est seulement en apparence que la liaison des effets avec leurs causes, fondement du déterminisme universel, apparaît comme moins lâche que les associations d'images contiguës et semblables: Hume analyse l'association de la cause avec l'effet et n'y trouve rien qu'une complication des associations par ressemblance et par contiguïté donc elle participe de leur indétermination. L'ordre de la nature est un produit de l'imagination; la raison, un instinct merveilleux et inintelligible, qui, sans l'effet de l'habitude, devrait être une source perpétuelle d'étonnement 29. Mais alors le fruit de la réflexion philosophique ne serat-il pas de détruire les croyances naturelles, de paralyser l'instinct? Nullement, et la dernière démarche du raisonnement consiste bien plutôt à comprendre que le scepticisme peut être pensé, non vécu, que la raison est insignifiante, lorsqu'on la compare à l'instinct qui fait vivre. Si donc le doute sceptique qui porte sur la raison et les sens est une maladie incurable, cependant, puisqu'il naît de la réflexion, on pourra le faire décroître en affaiblissant l'effort de la réflexion : « l'incuriosité et l'inattention seules peuvent nous fournir un remède au scepticisme, et je me repose entièrement sur elles 30 ». Chez Montaigne, on trouverait des expressions équivalentes. En fait, avec plus de dialectique et d'analyse, avec moins d'érudition, Hume est à bien des égards le Montaigne anglais; il est à Kant ce que Montaigne fut à Pascal. L'associationisme est, chez lui, une philosophie contre les philosophes, une série de raisonnements

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