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soleil un seul gouvernement capable de subsister vingt

années.

Bref, ou bien, dans la formule du contrat initial, on fait intervenir la notion de bonheur; mais, entre la notion de bonheur et la notion d'obéissance au pouvoir civil, la notion intermédiaire de contrat est inutile. Ou bien on ne la fait pas intervenir, alors la notion de contrat reste sans fondement logique. Il faut toujours revenir au principe de l'utilité. Preuve négative. Supposez que le roi promette à ses sujets de ne pas les gouverner selon la loi, de ne pas les gouverner en vue d'accroître leur bonheur : cet engagement serait-il obligatoire pour lui? Supposez que le peuple promette de lui obéir en tous cas, quand même il gouvernerait pour leur destruction: cet engagement serait-il obligatoire pour eux? -Preuve positive. Pour quelles raisons les hommes doivent-ils, en définitive, tenir leurs promesses? Parce qu'il est avantageux pour la société qu'ils les tiennent, et que, s'ils ne les tiennent pas, ils doivent, dans la mesure où les peines légales sont efficaces, être amenés à les tenir. Voilà pourquoi les sujets doivent obéir aux rois aussi longtemps que ceux-ci gouvernent en vue du bonheur des sujets, aussi longtemps que les maux probables de l'obéissance sont moindres que les maux probables de la résistance. Mais on demande à quel signe commun, perceptible à tous, on peut reconnaître, dans un cas donné, que les maux de l'obéissance l'emportent sur les maux de la résistance. « De signe commun à cette fin, répond Bentham, je n'en connais pas pour ma part;

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celui-là est, je crois, plus que prophète, qui peut nous en montrer un. Quant à un signe que puisse employer un individu pris en particulier, j'en ai déjà donné un sa propre conviction interne d'un excédent d'utilité du côté de la résistance 56. » Distinguera-t-on entre promesses valides et promesses nulles? Mais les unes et les autres sont également des promesses: il faut donc trouver quelque principe supérieur qui valide les unes et annule les autres. - Comment admettre, d'ailleurs, qu'un contrat passé entre un ancêtre du roi actuel et mes propres ancêtres soit encore valable entre le roi actuel et mes contemporains? Si la promesse continue à être obligatoire, ce n'est pas en raison de son caractère intrinsèque de promesse, c'est en raison de quelque considération extrinsèque. << Mais cet autre principe qui se présente encore à nous, que peut-il être sinon le principe d'utilité ? Le principe capable de nous fournir la seule raison qui ne dépende pas d'une raison plus haute, mais soit elle-même la raison unique et absolue pour résoudre toutes les questions pratiques? 57

La critique doit-elle être cependant tenue pour décisive? et n'est-il pas une manière, moins littérale, d'interpréter la théorie du contrat originel, que peut-être n'atteindraient pas les objections de Bentham? Ne doiton concevoir le contrat comme énonçant l'obligation de respecter certains droits préexistants, naturels à l'homme et imprescriptibles? Selon Locke lui-même, tous les hommes à l'état de nature sont libres et égaux;

et, si le droit de l'un d'entre eux à la liberté, égal chez lui et tous les autres, se trouve violé, à chaque individu, dans l'état de nature, appartient le droit de punir. C'est parce que les individus ne possèdent pas l'impartialité nécessaire pour être, avec sécurité, pourvus de ce droit, c'est parce que l'état de nature tend trop vite à devenir (ce qui ne revient pas au même) un état de guerre, que les hommes ont trouvé sage, par une convention originelle, d'aliéner une partie de leurs droits naturels, et de constituer une société civile. Dans la théorie du contrat ainsi conçue, ce n'est donc pas l'idée de contrat, c'est l'idée de droit qui est fondamentale. Selon l'expression de Burke, qui prend la parole, en 1782, au Parlement, pour repousser toute idée de réforme électorale, les démocrates de 1776 ne sont pas seulement des politiques, qui demandent le maintien de la constitution originelle, ce sont des juristes, qui se fondent, pour réclamer la réforme du régime électoral, sur des considérations de droit. Ils demandent que chaque personne soit représentée en tant que telle, tiennent les notions de personnalité politique ou collective pour de simples fictions juridiques et ne reconnaissent d'autres droits naturels que les droits de l'individu. Les neuf dixièmes des partisans d'une réforme parlementaire, nous dit Burke, pensent ainsi. C'est, en 1776, la thèse adoptée, en Angleterre, par Cartwright, et, en Amérique, par les auteurs de la Déclaration de l'Indépendance.

Ceux-ci cessent de parler en Anglo-Saxons, jaloux

des privilèges nationaux et héréditaires; ils défendent des droits fondés sur la raison universelle et la nature des choses. « Nous tenons, déclarent-ils solennellement,' les vérités qui suivent pour évidentes: que tous les hommes sont créés égaux, qu'ils sont doués par leur Créateur de certains droits inaliénables, qu'au nombre de ces droits sont la vie, la liberté et la recherche du bonheur; que c'est pour assurer ces droits que les gouvernements sont institués, et tiennent leurs justes pouvoirs du consentement des gouvernés ». La révolution d'Amérique prend dès lors une gravité philosophique singulière. Pour Thomas Paine, la cause de l'Amérique est dans une grande mesure la cause de l'humanité tout entière; pour Price, elle fait prévoir l'accomplissement des prophéties bibliques, le règne prochain de la raison et de la vertu, sous lequel l'évangile de la paix, mieux compris, sera glorifié 59. Inégaux par leurs aptitudes intellectuelles, par leurs forces physiques, les hommes sont, au contraire, sensiblement égaux lorsque tous les événements de leur vie sont considérés comme autant de péripéties d'un grand drame moral, égaux par leurs obligations et leur destinée. Le protestantisme applique cet individualisme, cet égalitarisme moral, aux choses de la politique: ce sont les sectaires chassés d'Angleterre par l'intolérance des premiers Stuart, les Baptistes, les quakers, sorte de « cyniques >> du christianisme, ennemis de toutes les formes et de tous les rites, égalitaires et cosmopolites, qui ont rédigé, au delà de l'Atlantique,

au XVIIe siècle, les premières constitutions démocratiques: un des derniers émigrants, Thomas Paine, qui apporte en 1774 aux colonies le concours de son énergie et de son talent, est lui-même un quaker. Tel est bien aussi l'esprit de la philosophie de Cartwright. Il avait dénoncé déjà, dans son opuscule de 1774 sur « l'lndépendance Américaine», «l'erreur capitale commise à ce sujet dans les raisonnements de plusieurs écrivains, qui considèrent la liberté du même œil qu'un bien-fonds ou un cheptel, et s'en vont, démontrant ou contestant le droit à la liberté, par la lettre des concessions et des chartes, par la coutume et l'usage, et par des statuts municipaux 60 ». La liberté est le don immédiat de Dieu; elle n'est dérivée de personne; inhérente à la nature de chacun, elle est inaliénable.

Or cette thèse est, en réalité, distincte de la thèse du contrat originel, dont c'est l'occasion de signaler, une fois de plus, le caractère ambigu. Priestley, d'un côté, et, de l'autre côté, Price et Cartwright se considèrent peut-être, aux environs de 1776, comme des «<lockiens, adeptes de la théorie du contrat social. Il est visible pourtant que, dans leurs doctrines respectives, la notion de contrat ne joue pour ainsi dire aucun rôle. On peut, à un premier point de vue, considérer que, en formulant le contrat par lequel ils s'associent, les hommes ont obéi à des considérations d'utilité. Bien des expressions de Locke justifieraient cette interprétation du contrat originel; et c'est en ce sens que Priestley incline la théorie contractuelle. Mais, alors, à

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