Imagens das páginas
PDF
ePub

humain est mal fait le principe de sympathie ou d'antipathie en a déterminé la formation, plus que le principe de l'utilité. Chaque mot implique une acception, favorable ou défavorable, qui n'est pas nécessairement justifiée; et c'est ainsi que « dans le son du mot d'usure réside le fort de l'argument « L'usure est

une mauvaise chose, et comme telle doit être empêchée; les usuriers sont une mauvaise espèce d'hommes, et comme tels doivent être punis et supprimés. Voilà un de ces enchaînements de propositions dont chaque homme reçoit l'héritage des mains de la génération précédente,

auxquels la plupart des hommes sont disposés à accéder sans examen; sans que cela soit à la vérité absurde ni même déraisonnable, car il est impossible que la masse de l'humanité trouve le loisir, en eût-elle la faculté, d'examiner les fondements de la centième partie des règles et des maximes conformément auxquelles les hommes se trouvent obligés d'agir 96 ». Et l'impopularité du métier de prêteur s'explique aisément. « Ceux qui ont la résolution de sacrifier le présent à l'avenir, sont des objets naturels d'envie pour ceux qui ont sacrifié l'avenir au présent. Les enfants qui ont mangé leur gâteau sont les ennemis naturels de ceux qui ont le leur ». Mais le maquignonnage (jockeyship) est un mot aussi impopulaire que le mot d'usure; la loi n'a jamais cependant tenté de fixer un prix légal des chevaux sur le marché. Pourquoi faire exception en ce qui concerne le commerce de l'argent? « J'ai déjà fait allusion au mauvais

renom, à l'ignominie, aux insultes, que les préjugés, cause et effet de ces lois restrictives, ont accumulés sur cette classe parfaitement innocente et même méritoire, qui, autant pour venir au secours des détresses de son prochain que pour son propre avantage, peut s'être aventurée à secouer ces contraintes. Il n'est certainement pas indifférent qu'une classe de personnes, qui, à tous les points de vue où leur conduite peut être envisagée, par rapport à leur intérêt propre ou à celui des personnes avec qui elles ont à traiter, en matière de prudence aussi bien que de bienfaisance, méritent des louanges plutôt que des blâmes, soit classée avec les réprouvés et les dissolus, et chargée d'un degré d'infamie qui est dû à ceux-là seulement dont la conduite est par sa tendance le plus opposée à la leur 97

98

[ocr errors]

Il en est des projectors comme des « usuriers ». L'opinion les voit d'un mauvais œil: d'où un sens défavorable inséparablement associé avec le mot, et l'aggravation du préjugé hostile. La treizième lettre est adressée à Adam Smith, pour lui reprocher d'avoir accepté, sur ce point, « la pauvreté et la perversité du langage humain ». « J'ai quelquefois été tenté de penser que, s'il était au pouvoir des lois de proscrire des mots, comme elles proscrivent des hommes, la cause des inventions industrielles pourrait tirer presque le même secours d'un bill of attainder contre les mots project et projectors, qu'elle en a tiré de la loi autorisant des patentes. J'ajouterais cependant « pour un temps seulement »; car même alors l'envie, la vanité, l'orgueil

99

blessé de la foule stupide introduiraient tôt ou tardleur venin dans quelque autre mot, qui se constituerait tyran à son tour, pour épier, comme son prédécesseur, la naissance du génie enfant, et l'écraser dans le berceau ». En plaidant la cause des projectors, Bentham, l'inventeur du Panopticon, plaide un peu sa propre cause. Il comprend qu'un régime de libéralisme absolu est le plus approprié au développement des facultés d'invention. Il se fonde, d'ailleurs, pour critiquer Adam Smith, sur les principes mêmes posés par celuici. Adam Smith n'a-t-il pas commencé la critique de la langue vulgaire ? protesté contre l'acception défavorable que les hommes attachent instinctivement aux mots regrater, engrosser, forestaller, et démontré le rôle bienfaisant joué, dans le mécanisme de l'échange, par les intermédiaires qui spéculent sur les grains? « Vous avez défendu contre des outrages immérités deux classes d'hommes, les uns innocents au moins, les autres hautement utiles: ceux qui répandent les arts anglais dans les climats étrangers, et ceux dont l'industrie s'exerce à distribuer cet objet nécessaire que l'on appelle par excellence le soutien de la vie. Puis-je me flatter d'avoir au moins réussi dans mes efforts pour recommander à la même puissante protection deux autres classes d'hommes éminemment utiles et également persécutés les usuriers et les projectors? 100 ».

L'abolition du taux légal de l'intérêt avait été réclamée en France par les Économistes 101, et en Angleterre même, dans un livre d'ailleurs insignifiant, par Playfair 102. Mais

c'est à Bentham que l'opinion attribue l'honneur d'avoir tiré le premier, sur ce point, toutes les conséquences de la nouvelle doctrine économique : le Monthly Review déclare que << sur le grand nombre d'ouvrages de valeur de cette nature qui ont attiré son attention, aucun ne doit être mis à un plus haut rang, en raison de la pénétration des arguments, et peut-être de l'importance nationale des conclusions, que ce petit volume 103 ». Selon Bentham, l'ouvrage aurait contribué à empêcher, l'année qui suivit sa publication, que le taux légal de l'intérêt fût abaissé, en Angleterre, de 6 à 5 p. 100. Selon Bentham encore, Adam Smith se serait déclaré converti : « l'ouvrage, aurait dit celui-ci, est celui d'un homme supérieur; il m'a porté quelques rudes coups, mais si bien portés que je ne puis me plaindre 104».

C'est donc en qualité d'économiste que Bentham paraît avoir vraiment forcé, pour la première fois, l'attention publique. Comment en serait-il autrement, si le libéralisme économique est la forme sous laquelle déjà triomphe, autour de lui, dans l'opinion anglaise, la doctrine utilitaire? Bentham, d'ailleurs, ne borne pas son effort à faire la critique des lois contre l'usure : dans le plan général, qu'il ébauche, d'une économie politique, il se fonde encore sur la doctrine d'Adam Smith, pour condamner, avec plus de netteté peut-être qu'Adam Smith, la prétendue utilité économique des possessions coloniales 105. Comme Adam Smith au début de la partie pratique de son ouvrage, il pose en principe que « l'in

dustrie est limitée par le capital. « Si j'ai, nous dit-il, un capital de dix mille livres et qu'on me propose deux commerces qui me rapporteront vingt pour cent, il est clair que je puis faire l'un ou l'autre avec ce profit aussi longtemps que je me borne à un seul, mais qu'en faisant l'un, il n'est pas en moň pouvoir de faire l'autre, et que, si je le partage entre les deux, je ne ferai pas plus de vingt pour cent, mais je risque de faire moins, et même de changer le gain en perte. Or, si cette proposition est vraie pour un individu, elle est vraie pour tous les individus de toute la nation. L'industrie est donc limitée par le capital 106 Mais il prétend suivre, avec plus de constance que n'avait fait Adam Smith, l'application de ce principe au corps entier de l'économie politique. Ce principe lui suffit, pense-t-il, pour démontrer, en peu de mots, l'inutilité des colonies. « J'ai un capital de dix mille livres dans le commerce. Supposez que l'Amérique espagnole me fût ouverte, pourrais-je, avec mes dix mille livres, faire un plus grand commerce qu'à présent? Supposez que les Indes Occidentales me fussent fermées, est-ce que mes dix mille livres deviendraient inutiles entre mes mains? Ne serais-je pas capable de les appliquer à quelque autre commerce étranger, ou de les rendre utiles à l'intérieur du pays, ou de les employer à quelque entreprise d'agriculture domestique? C'est ainsi que le capital garde toujours sa valeur : le commerce auquel il donne naissance peut changer de forme ou de direction, peut s'écouler par divers canaux, peut être dirigé sur une

« AnteriorContinuar »