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« siècle de Louis XIV » expire, ouvert par le « Discours de la Méthode», clos par le livre de Voltaire qui le dénomme et le consacre, le siècle classique, le siècle de l'ordre et de la loi; le siècle de la Révolution s'annonce, avec l'Esprit des Lois », avec les premiers écrits de Rousseau, le siècle romantique, le siècle de l'émancipation religieuse, intellectuelle et morale. En Angleterre, Hume publie son «< Enquête sur l'Entendement Humain »; Hartley, ses «Observations sur l'Homme ». C'est le siècle utilitaire qui commence, le siècle de la « Révolution industrielle », le siècle des économistes et des grands inventeurs. Voilà déjà cinquante ans que la crise se prépare; deux noms, contemporains de la Révolution de 1688, symbolisent l'ère nouvelle : « Locke et Newton », c'est une association de noms devenue proverbiale, en Angleterre et sur le Continent.

Toute l'intelligibilité de la loi consiste dans sa généralité. Dire qu'une relation est nécessaire, c'est dire non qu'elle est intelligible, mais qu'elle est constante. Pour qu'il me soit possible d'agir utilement sur la nature extérieure, il n'est pas nécessaire que je comprenne les relations des phénomènes entre eux, à titre de relations intelligibles, il suffit que ces relations soient constantes, et que je sois sûr de provoquer, par la production d'un premier phénomène, l'apparition d'un second phénomène, objet de mon désir: nul n'a besoin que son savoir aille plus loin que son pouvoir. Telle est la conception que se font les Newtoniens des lois de la

nature; elle s'accorde avec la conception nouvelle de la science, définie comme étant non plus contemplative et théorique, mais active et pratique, comme ayant pour objet d'assurer, par la connaissance des lois naturelles, notre domination sur la nature extérieure 5.

Il est possible, d'ailleurs, de procéder, lorsqu'on étudie la nature de l'homme individuel et social, comme procède, en d'autres matières, le physicien, et d'appliquer, ici encore, la méthode newtonienne à la détermination d'un nombre aussi petit que possible de lois générales et simples, qui, une fois découvertes, permettront d'expliquer, par voie synthétique et déductive, tout le détail des phénomènes. Il est possible, par suite, de fonder sur ces connaissances une science pratique, d'étendre notre pouvoir dans la même mesure où nous étendons notre faculté de prévoir. Le nom de Locke résume, pour l'opinion publique, cette préoccupation sociale, présente déjà à l'esprit de Hobbes lorsqu'il avait essayé de définir, par voie d'observation, la fin nécessaire de nos actions. et l'ordre d'enchaînement de nos pensées, afin de constituer, sur ces bases, une politique rationnelle ". Étant constituées une science de l'âme et une science de la société, qui présentent le caractère de sciences à la fois expérimentales et exactes, analogues à la physique newtonienne, pourquoi ne pas fonder, sur ces disciplines nouvelles, une morale et une législation scientifiques, achèvement de la science pratique universelle? Tel est le problème que va se poser, pendant tout le siècle de Bentham, l'Angleterre pensante. Ce qu'on appellera

l'utilitarisme, le radicalisme philosophique, peut se définir tout entier un newtonianisme, ou, si l'on veut, un essai de newtonianisme appliqué aux choses de la politique et de la morale.

Dans ce newtonianisme moral, deux principes tiennent la place du principe de l'attraction universelle. Ce sont le principe de l'association des idées et le principe de l'utilité. Or, quoique Locke soit universellement reconnu comme le précurseur du nouvel esprit, on ne rencontre cependant chez lui ni développement méthodique d'une morale de l'utilité, ni application universelle du principe de l'association ; mais, en 1730, paraît, en tête de la réédition d'un ouvrage de philosophie, une « dissertation sur les principes et le critérium de la vertu et l'origine des passions», dont l'auteur, Gay, qui se donne, d'ailleurs, pour un disciple de Locke, peut être considéré comme ayant véritablement fondé la nouvelle philosophie, la morale de l'utilité et la psychologie de l'association. Assurément, la pensée de Gay contient encore un élément théologique Gay fait appel, en morale, à l'idée des récompenses et des peines éternelles. Mais, si on laisse de côté cet élément étranger à l'esprit de la doctrine et qui va en quelque sorte s'éliminer de lui-même, voici comment la philosophie de Gay peut se résumer. Tous les hommes cherchent le plaisir et fuient la peine; la recherche du plaisir est la loi nécessaire et normale, tout à la fois, de toute action humaine; les actes obligatoires sont ceux qui conduisent au bonheur 1o. Or,

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si l'on peut obtenir aisément que tous les hommes se mettent d'accord sur le but à poursuivre, ils cessent visiblement de s'accorder quant aux moyens à employer en vue d'atteindre cette fin nécessaire: c'est que l'idée du bonheur n'est pas liée, chez tous les individus, avec les mêmes idées, c'est, en d'autres termes, que les associations d'idées varient d'individu à individu; et ces variations individuelles sont soumises elles-mêmes à une loi que le moraliste doit connaître, s'il veut conduire les hommes au bonheur 1. Rien ne paraît, au premier abord, plus clair et plus simple à comprendre que cette tentative faite pour fonder une morale de l'utilité sur une psychologie de l'association. Il va nous suffire cependant de suivre le développement des deux principes nouveaux, à partir du traité de Gay jusqu'au moment où Bentham fonde sur eux sa doctrine sociale, pour en faire apparaître l'obscurité et la complexité réelles.

Considère-t-on d'abord le principe de l'association ? La doctrine associationiste a pour fondateur reconnu David Hartley, dont les « Observations sur l'Homme, sa constitution, son devoir et ses destinées 12 », paraissent en 1749. Sur certains points, peut-être ne prépare-t-il pas directement la future doctrine de l'utilité, en tant qu'elle doit rendre possible la constitution de sciences morales autonomes; il place, en effet, la morale et la politique sous la dépendance de l'idée religieuse, et l'on ne doit pas oublier que le but qu'il se propose, c'est de

montrer, dans le mécanisme des lois de la nature, la
justification de l'optimisme chrétien. Du moins veut-il
fonder une « psychologie 13» (le mot ne se rencontre,
croyons-nous, chez nul de ses prédécesseurs), théorie
de l'intelligence humaine et de l'intelligence animale,
branche de la «philosophie naturelle », science qui
présentera un caractère déductif, ou « synthétique»,
aussitôt que les « lois générales » qui en gouvernent les
<< phénomènes >> auront été découvertes par «< analyse 13 ».
Hartley introduit, de la sorte, franchement en psycho-
logie la méthode et la terminologie de Newton 4. Il sim-
plifie, d'ailleurs, à l'extrême l'explication des faits, et
ramène toutes les associations au type unique de l'asso-
ciation par contiguïté. Il combine sa théorie psycho-
logique avec une théorie physiologique 15, dont l'idée
première a été encore empruntée à Newton, et où les
<< vibrations en miniature » ou « vibratiuncules » pren-
nent la place des « traces » cartésiennes
pas en droit de considérer que ces préoccupations de
physiologiste et de médecin ont peut-être contribué à
former, chez Hartley, la conviction déterministe et la
disposition à rendre compte scientifiquement du méca-
nisme des phénomènes mentaux? En 1774, Priestley,
disciple de Locke, de Gay et de Hartley, lit l'« Enquête
sur l'Esprit Humain » du docteur Reid, s'afflige de voir
que la tentative de ses maîtres pour fonder une science
positive des phénomènes de l'esprit humain risque
d'avoir échoué, écrit tout un livre pour réfuter
Reid, Oswald, Beattie, et annonce son intention de

n'est-on

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