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dique, faux en matière économique? pourquoi, inversement, le second, vrai en matière économique, ne l'est-il pas en matière juridique ? Ne peut-on pas trouver, dans l'ouvrage même d'Adam Smith, comme nous avons essayé de le faire voir, des raisons d'affirmer que l'identité des intérêts du travailleur salarié, du propriétaire foncier et du capitaliste, n'est pas réalisée spontanément, et que, par suite, une intervention de l'État dans les relations économiques des citoyens est utile, ou même nécessaire, pour qui adopte le principe de l'utilité? L'idée fondamentale de l'économie politique, c'est l'idée d'échange et le postulat impliqué dans le principe d'identité des intérêts, c'est l'idée que l'échange donne constamment au travail sa récompense, que le mécanisme de l'échange est juste. Mais, en réalité, les lois de l'échange ne sont conformes à la justice que dans le cas où les individus qui se livrent à l'échange sont tous deux des travailleurs, tirant un produit égal d'un travail égal. Si donc la condition n'est pas réalisée, le principe de l'utilité ne prescrit-il pas, les deux notions d'échange et de récompense ne coïncidant plus, de faire passer la notion de récompense avant la notion d'échange, et d'imaginer des artifices. législatifs propres à assurer à tout travail sa récompense, ou à tout besoin sa satisfaction? - Ou bien, au contraire, si le principe de l'identité spontanée des intérêts est vrai, pourquoi ne pas l'appliquer dans son intégralité, et, toute contrainte étant reconnue mauvaise, pourquoi ne pas refuser à l'État le droit d'inter

venir dans les relations sociales des citoyens par des contraintes pénales? Pourquoi l'idée de critiquer la notion de peine est-elle tenue pour utopique, alors que, logiquement, elle repose sur le même fondement que la critique de toute intervention de l'État dans les relations économiques des citoyens ?

Il n'est pas impossible cependant d'expliquer comment un penseur de l'école de Bentham peut justifier cette combinaison de deux interprétations différentes du principe de l'utilité. « La fonction du gouvernement, selon l'expression de Bentham, est de promouvoir le bonheur de la société, par des peines et des récompenses.» Or, si c'est le principe fondamental de la doctrine, que le plaisir est la fin naturelle des actions humaines, c'est un autre principe, presque aussi essentiel, que, naturellement, tout plaisir s'échange contre une peine, s'achète au prix d'un travail, d'un effort, d'une peine. C'est au fond, l'oubli de cette nécessité naturelle, la préférence du plaisir immédiatement obtenu à l'utile, qui est la cause des crimes. Il appartient à l'État de corriger cette tendance de l'esprit humain à l'impatience, en infligeant des peines, à condition de réduire toujours l'infliction des peines au strict minimum, et de se souvenir toujours que l'utilité de la peine réside non dans l'infliction positive, mais dans la menace du châtiment. Au contraire, vouloir agir par la promesse d'une récompense, c'est, sans compter que l'on ne peut donner à l'un sans retirer à un autre, et que, par suite, l'attribution d'une récom

pense implique toujours quelque part ailleurs l'infliction d'une peine, aller contre la nature des choses, et vouloir faire agir les hommes par l'attrait pur et simple. du plaisir, ce qui est contradictoire car agir, c'est travailler, et travailler, c'est souffrir 126. Sans doute, Adam Smith nous a paru céder aux préoccupations d'un optimisme rationaliste, lorsqu'il négligeait systématiquement tous les accidents introduits, dans le monde économique, par les difficultés naturelles de production, lorsqu'il tenait compte, pour établir sa théorie de la valeur, des seuls objets « dont le travail peut indéfiniment accroître la quantité ». Il est acquis, cependant, par là même, que le travail doit être considéré comme une condition nécessaire de l'existence humaine, si l'on veut qu'une science économique soit possible; il est acquis que le travail seul mesure nos besoins, que, par suite, les besoins, ou, ce qui revient au même, les utilités, cessent de pouvoir être comparés et mesurés, dès qu'il y a abondance. De sorte qu'en fin de compte le libéralisme économique d'Adam Smith et de Bentham apparait moins comme un optimisme absolu que comme une doctrine qui insiste perpétuellement sur les conditions, difficiles et pénibles, que nous devons subir, en raison de la constitution même des choses, lorsque nous nous attachons à la réalisation, méthodique et calculée, de nos intérêts.

II

DÉMOCRATES ET UTILITAIRES.

Quelles sont les causes historiques du mouvement d'opinion démocratique qui ébranle le monde anglosaxon, aux temps où Bentham commence à écrire? Sur quels principes philosophiques, plus ou moins explicites, se fondent les agitateurs? A quels signes peut-on pressentir la fusion, lointaine encore, de l'idée utilitaire et de l'idée démocratique ? Mais comment expliquer, surtout, que l'attitude des principaux adeptes de la morale de l'utilité à l'égard des premiers démocrates semble avoir été d'abord, assez généralement, une attitude de défiance ou d'hostilité? Autant de problèmes délicats à résoudre, dans la confusion des idées politiques, dans l'enchevêtrement des partis parlementaires.

C'est en 1776 que Bentham publie son premier ouvrage, le « Fragment sur le Gouvernement », où il

examine, chez Blackstone, les principes du droit public. Or, c'est en 1776 aussi que les colonies d'Amérique se déclarent indépendantes, après douze ou treize années de demi-rébellion. Les colons ont commencé par refuser d'acquitter des taxes que leurs assemblées locales n'avaient pas consenties. Pas d'impôt sans représentation, c'est là, prétendent les disciples de Locke, une des clauses du contrat originel; Hume trouve même, dans cette assertion, un argument contre la doctrine du contrat quelle valeur, en effet, peut-on attribuer à des opinions aussi éloignées de ce qui, partout sauf en Angleterre, est la pratique courante de l'humanité' ? C'est, à en croire lord Camden, une loi naturelle, une conséquence du droit de propriété. « Car tout ce qui est la propriété d'un homme est absolument sa propriété. Nul n'a le droit de le lui prendre sans son consentement exprimé soit par lui-même, soit par son représentant. Quiconque essaie de faire cela essaie de commettre une injustice. Quiconque fait cela commet un vol2. » Au refus des Américains de payer un impôt que leurs représentants n'ont pas voté, le ministère répond par la distinction des impôts intérieurs et extérieurs, et encore par la théorie de la représentation virtuelle. Si les Américains ne sont pas représentés réellement, ou en acte, au Parlement, ils le sont, du moins, virtuellement, au même titre que l'habitant de Manchester ou de Birmingham, qui n'envoie pas de représentants au Parlement et paie cependant les impôts votés à Westminster. Mais les Américains refusent d'ac

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