Imagens das páginas
PDF
ePub

plicable par une notion plus simple. A ce point de vue, la peine apparaît comme un bien, puisqu'elle est l'expression de l'ordre légal.

», et

Cette conception de la pénalité a pris corps dans la philosophie classique du droit Montesquieu, libéral et réformateur, mais magistrat de profession et attaché, malgré tout, aux préjugés de la profession à laquelle il appartient, considère les lois comme étant des « rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses tient pour évident, en vertu d'un rapport d'équité antérieur à toute loi positive « qu'un être intelligent qui a fait du mal à un être intelligent mérite de recevoir le même mal ». Il propose, en conséquence, afin de suspendre, en matière de droit, le règne de l'arbitraire, de faire en sorte que la peine ne descende point « du caprice du législateur, mais de la nature de la chose », et demande qu'on établisse une analogie qualitative entre le délit et la peine. Il est de la nature, par exemple, que la peine des crimes contre la sûreté des biens soit punie par la perte des biens. La peine, ainsi conçue, devient une « espèce de talion » ; elle est « tirée de la nature de la chose, puisée dans la raison et dans les sources du bien et du mal »'. Montesquieu espère, en établissant ainsi une sorte de liaison objective entre la nature du délit et la nature de la peine, soustraire la détermination des peines à ce qu'il appelle « le caprice du législateur » ; Bentham pense cependant que la doctrine de Montesquieu se fonde encore sur ce qu'il appelle le principe « arbitraire », le principe de sym

pathie et d'antipathie. Peut-être est-ce le principe de sympathie qui fait parler du délit comme méritant la peine. L'équation des deux termes satisfait comme un besoin de symétrie de notre esprit ; il y a là comme une perversion professionnelle des idées et des sentiments. Cependant c'est surtout, ici, le principe d'antipathie qui prévaut. « C'est le principe d'antipathie qui fait parler du délit comme méritant une peine; c'est le principe correspondant de sympathie qui fait parler de telle action comme méritant une récompense; ce mot mérite ne peut conduire qu'à des passions et à des erreurs. Le XVIIIe siècle lui-même, dans la plus grande partie de l'Europe, jusqu'aux environs de 1760, fonde le droit de punir sur les exigences de la « vindicte publique ». « Les hommes, écrit Bentham vers 1773, punissent parce qu'ils haïssent... on leur dit qu'ils doivent haïr les crimes; on leur fait un mérite de haïr les crimes... Comment puniraient-ils si ce n'est dans la mesure où ils haïssent?... Quelle mesure est plus claire? Pour savoir s'ils sont d'accord pour haïr, pour savoir, de deux crimes donnés, lequel ils haïssent le plus qu'ont-ils à faire, si ce n'est de consulter

leurs sentiments?3 »

Mais précisément l'objet de Bentham, en appliquant le principe de l'utilité aux choses de la morale et de la législation, c'est de faire prévaloir, en ces matières, le règne du calcul sur celui de l'instinct et du sentiment. Au point de vue du magistrat professionnel, la peine, qui satisfait au goût de la symétrie, à l'instinct de la

[ocr errors]

vengeance, est un bien et est définie comme l'expression de l'ordre légal. Mais, au point de vue de l'utilité, toute peine est un mal; car toute peine consiste dans l'infliction d'une douleur; et la douleur est un mal. Quant à sa nature intrinsèque, la peine ne se distingue pas du délit: c'est une sorte de contre-délit, commis avec l'autorité de la loi. Quelle est donc la différence? C'est que le délit, pour le profit d'un seul, produit un mal universel; la peine, par la souffrance d'un seul, produit un bien général ». Des droits sont violés par des actes, et la loi se propose deux objets par rapport à ces actes réparer le mal de l'acte quand il a eu lieu, et empêcher le renouvellement futur de l'acte. Dans le premier cas, le remède légal s'appelle un remède satisfactoire. Dans le second cas, deux classes de moyens peuvent encore être employées : attendre que l'acte soit sur le point d'être commis, et intervenir; ou créer des motifs qui feront obstacle à la volonté de le commettre.) Le premier ordre de remèdes, qui ne peuvent être employés que dans un petit nombre de cas, constitue l'ensemble des remèdes préventifs et suppressifs; le second ordre, l'ensemble des remèdes pénaux, ou des peines. «< D'après le principe de l'utilité, les peines légales sont des maux infligés, selon des formes juridiques, à des individus convaincus de quelque acte nuisible, défendu par la loi, et dans le but de prévenir de semblables actes » ; ou encore, pour introduire dans la définition de la peine la notion de service, à laquelle Bentham donne une extension égale au domaine entier

4

du droit, << les peines légales sont des services imposés à ceux qui les subissent pour le bien de la société; aussi parle-t-on du supplice d'un criminel comme d'une dette qu'il a acquittée » 5. Pour éviter la récidive, la peine opère de deux manières en corrigeant la volonté, en ôtant le pouvoir de nuire. Elle influe sur la volonté par la crainte, en réformant le coupable; elle ôte le pouvoir par quelque acte physique, en incapacitant le coupable ". Le problème, dans l'infliction des peines, se ramène encore à un cas particulier de l'arithmétique morale régler le mal de la peine de manière qu'il n'excède pas le bien du service.

Il convient, d'ailleurs, d'ajouter que l'application du principe de l'utilité au droit pénal permet d'apporter une justification relative au principe vindicatif. Car « toute espèce de satisfaction entraînant une peine pour le délinquant produit naturellement un plaisir de vengeance pour la partie lésée ». Or, le plaisir de la vengeance, considéré en soi-même, est un bien; c'est donc une jouissance qu'il conviendra de cultiver, au même titre que toutes les autres. Condamner les plaisirs que l'on tire de la satisfaction du sentiment d'antipathie, déclarer que « l'esprit de vengeance est odieux, que toute satisfaction puisée dans cette source est vicieuse, que le pardon des injures est la plus belle des vertus, c'est obéir aux suggestions du principe sentimental, c'est parler à son tour le langage de l'antipathie, non de la raison 7. Le mobile de la vengeance est

un mobile utile, et même nécessaire, à la société : sauf les cas héroïques, exceptionnels, où l'accusateur poursuit le crime par pur amour du bien public, l'accusateur obéit au mobile égoïste de l'intérêt pécuniaire, ou au mobile dissocial de la malveillance: si done il est utile que les crimes soient poursuivis, il est utile qu'il en soit ainsi. Et si, néanmoins, le plaisir de la vengeance ne suffit pas à justifier la peine, ce n'est pas qu'il soit mauvais en soi (tout plaisir est un bien), c'est parce que ce plaisir n'équivaut en aucun cas à la peine subie par le coupable. Car mal de perte l'emporte sur bien de gain on serait tenté de voir ici une application nouvelle du principe de la sûreté 9.

Cette définition de la peine est l'idée fondamentale, on serait tenté de dire l'idée unique, dont toute la philosophie benthamique du droit pénal est le développement. Or, elle avait déjà été rendue populaire par Beccaria, dont le petit « Traité des Délits et des Peines », paru en 1764, avait été, en 1766, traduit en français par l'abbé Morellet, à la demande de Malesherbes, pour devenir un objet d'étude européenne, et être d'ailleurs bientôt traduit en anglais 10. Bentham avait subi l'influence directe des écrits de Hume; mais il avait subi cette même influence, indirectement, par l'intermédiaire d'Helvétius. Il avait subi, d'une manière profonde et directe, l'influence d'Helvétius; il la subissait inconsciemment, et par un détour, à travers Beccaria, disciple d'Helvétius. Après Helvétius, après Hume,

« AnteriorContinuar »