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CHAPITRE II

LA PHILOSOPHIE JURIDIQUE DE BENTHAM

C'est à la réforme de la science du droit que Bentham a consacré sa vie. Dans son Introduction aux Principes de la Morale et de la Législation», c'est une théorie de la peine et une classification des délits qu'il fonde sur cette pathologie mentale et morale dont nous avons esquissé les grands traits. Mais déjà, avant que paraisse l'<< Introduction », il a rédigé une théorie intégrale du droit, qui attendra de longues années avant d'être connue du public, par les « Traités « Traités de Législation Civile et Pénale », par la « Théorie des Peines et des Récompenses », au début du XIXe siècle.

Au moment où Bentham commence à réfléchir et à écrire, un homme vient d'essayer, avant lui, la systématisation du droit anglais Blackstone, l'auteur fameux des « Commentaires sur les lois d'Angleterre », a été, à Oxford, en 1763 et 1764, le professeur de

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Bentham. Mais Bentham se vante de n'avoir pas été, même alors, dupe de ses formules. Si l'un et l'autre se placent à un point de vue systématique, ils n'appliquent pas, l'un et l'autre, la même méthode à la constitution de leur théorie juridique. Blackstone procède en expositor, il enseigne le droit « tel qu'il est » ; Bentham procède en censor, qui enseigne le droit « tel qu'il doit être ». De tous les arrangements de la matière juridique qui ont été proposés jusqu'à présent, l'arrangement que nous offre Blackstone est peutêtre le meilleur ce n'en est pas moins, par opposition à l'arrangement «< naturel », c'est-à-dire à celui qui se fonde sur la connaissance des lois générales de la nature humaine, un arrangement technique », c'est-à-dire fondé sur la connaissance des règles traditionnelles de la corporation judiciaire 5. La science du droit telle que l'expose Blackstone n'est pas une science de raisonnement, mais une science d'érudition, a learning, ou encore, selon l'expression de Beccaria, « une tradition domestique ». Si elle repose sur des principes, ce ne sauraient être que des principes nominaux, fictifs, inventés pour les besoins de conséquences une fois données, ou bien même que l'on ne peut adapter à ces prétendues conséquences, si ce n'est par une série de fictions légales. Le disciple d'Helvétius, qu'il s'appelle Beccaria ou Bentham, épris de rigueur logique, passionné pour le bien général, hostile à tous les intérêts de classe, a conscience que les intérêts de la corporation judiciaire, comme de toutes les autres corporations, sont

<< sinistres»»>, contraires aux intérêts du public, et vise à substituer, en matière de droit, aux fictions techniques, la réalité du principe de l'utilité, du plus grand bonheur du plus grand nombre.

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Les « Traités de Législation » de 1802 distinguent entre le droit substantif et le droit adjectif". Le droit adjectif comprend l'ensemble des lois de procédure, qui définissent la manière dont les lois, une fois établies, devront être appliquées par les Tribunaux, sans divergence entre les intérêts du juge et ceux du public. Mais, dans l' << Introduction aux Principes de la Morale et de la Législation », Bentham ne fait pas allusion à cette division fondamentale la réforme de la procédure ne l'a encore, à cette date, occupé qu'en passant, et c'est seulement à la théorie du droit substantif qu'il songe lorsqu'il propose de diviser le droit tout entier en droit civil, droit pénal, et droit constitutionnels. D'ailleurs, il n'a pas encore traité systématiquement du droit constitutionnel. Le droit civil et le droit pénal sont, à cette date, les objets spéciaux de son étude. Bentham distingue entre la loi simplement impérative, celle qui s'énonce, par exemple, sous cette forme: il est interdit de voler, et la loi punitive, qui s'énonce sous la forme suivante : quiconque aura volé sera condamné à être pendu. La définition des droits (ou, ce qui revient au même, car es deux termes sont inséparables comme ils sont réciproques, des obligations) constitue le droit civil; la définition des actes par lesquels les droits sont violés, c'està-dire des délits (ou, ce qui revient au même, et par

réciproque, des peines), le droit pénal". L'État, envisagé dans l'exercice de ses fonctions judiciaires, crée des obligations, et réprime les manquements à ces obligations par des peines. Or, l'existence même des délits prouve que ni le principe de la fusion des intérêts ne se vérifie en ces matières, puisque, à chaque délit qui se commet, les sentiments d'antipathie prévalent sur les sentiments de sympathie, ni le principe de l'identité naturelle des intérêts, puisque les individus trouvent leur intérêt, au moins apparent, à léser l'intérêt du prochain. Le problème qui se pose pour l'homme d'État est de définir les obligations et de définir les peines dans des conditions telles que l'intérêt privé soit amené artificiellement à coïncider avec l'intérêt public « la loi seule a fait ce que les sentiments naturels n'auraient pas eu la force de faire 10 ».

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