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qu'un individu quelconque, et notamment un juge, est disposé à éprouver relativement à l'objet en question 22: dans laquelle de ces trois classes un cas donné devra être rangé, cela est livré entièrement à l'appréciation arbitraire du juge. D'une manière générale, toutes les classifications techniques ont ce vice commun de se fonder non sur la nature du délit, mais sur la nature des peines: la définition, en droit pénal anglais, des felonies, est typique à cet égard : les felonies sont les délits qui sont frappés de la peine de mort, par opposition aux misdemeanors, aux trespasses, qui sont frappés d'une peine inférieure. Mais alors comment espérer que, sur cette classification des délits, on fondera une théorie des peines, puisque la classification suppose connu le système de peines établi, dont précisément on se propose l'examen critique? La langue du droit pénal réclame une révolution, difficile en raison des intérêts de classe que favorise une terminologie technique, mais nécessaire: comme la botanique a eu son Linné, comine la chimie a eu son Lavoisier 23, il lui faut un homme qui lui donne une nomenclature.

Le procédé de classification auquel Bentham essaie de se conformer, c'est le procédé dichotomique 24, ce que Bentham appelle la « méthode exhaustive»: cette méthode consiste, en partant de la définition du domaine logique dont on se propose l'étude, à le partager en deux parties, puis chacune de ces deux parties en deux parties à son tour, et ainsi de suite jusqu'à épuisement, ou exhaustion du domaine. Bentham admet, d'ailleurs, qu'il

serait difficile de suivre le procédé dichotomique à la rigueur. Il s'agit, pour lui, d'une part, d'obtenir une énumération systématique de toutes les modifications possibles du délit, pourvues ou non de dénominations; d'autre part, de trouver une place sur la liste pour tous les noms de délits qui sont d'un usage courant. Si nous poursuivions seulement le premier but, il suffirait, en nous conformant purement et simplement à la nature, de suivre imperturbablement le procédé dichotomique : mais on aboutirait ainsi à un langage juridique entièrement nouveau, inintelligible, et qui laisserait inexpliqués les mots courants. Il faudra employer le procédé dichotomique avec la préoccupation constante de retrouver en chemin les expressions courantes, et même parfois renoncer au pédantisme du procédé suivi rigoureusement.

Doit être érigé en délit, conformément au principe de l'utilité, tout acte qui est, ou qui peut être, nuisible à la communauté 25. Mais le mal dont il est cause pour la communauté peut être maintenant, à un point de vue nouveau, divisé en classes distinctes, selon les individus ou groupes d'individus qui le subissent. Le procédé dichotomique trouve ici son application: les individus qui subissent le mal sont ou assignables, c'est-à-dire tels qu'ils puissent être désignés par leur nom propre ou par toute circonstance particulière; ou, dans tout autre cas, inassignables. Les individus assignables qui subissent le mal de l'action sont, ou des individus. autres que l'agent, ou l'agent lui-même. Les individus.

inassignables sont, ou la totalité des individus qui constituent la communauté, ou un groupe subordonné de cette communauté 26. D'où quatre classes de délits : privés, qui portent sur un ou plusieurs individus assignables, autres que l'agent; semi-publics, qui portent sur un groupe d'individus inassignables autres que l'agent; réflectifs, qui portent sur l'agent; publics, qui portent sur la totalité de la communauté.

On peut diviser, par l'application de la méthode dichotomique, chaque classe à son tour, si l'on excepte la quatrième, à propos de laquelle Bentham s'avoue impuissant à observer rigoureusement la règle posée en commençant 27. Qu'il s'agisse des délits privés ou des délits réflectifs, la méthode à suivre est la même. Le bonheur d'un individu dépend en partie de sa personne, en partie des objets extérieurs qui l'entourent. Ces objets extérieurs d'où son bonheur dépend sont ou bien des choses et constituent sa propriété, ou bien des personnes, dont il attend soit des services, en raison de sa condition légale, soit simplement ces égards de bienveillance, qui constituent la réputation. Il y aura donc des délits contre la personne, des délits contre la réputation, des délits contre la propriété, et des délits contre la condition 28. La même division s'applique au moins en partie aux délits semi-publics, si seulement on distingue les cas où le mal qui résulte de ces délits est inintentionnel (délits fondés sur quelque calamité, par exemple une inondation, une contagion, un incendie), d'avec ceux où il est intentionnel (délits de pure malice),

et si l'on s'attache à la considération de ceux-ci, qui seront encore des délits contre la personne, contre la réputation, contre la propriété, ou contre la condition 29.

La même méthode permet encore, dans chaque division de chaque classe, de distinguer des genres. Soit la première division de la première classe: délits privés, délits contre la personne. La personne est composée, ou supposée composée de corps et d'âme. Les actes qui exercent une influence malfaisante sur la partie corporelle de la personne peuvent l'exercer soit d'une façon immédiate, sans affecter la volonté de la personne, soit d'une façon médiate et par l'intermédiaire de cette faculté. Lorsqu'elles l'exercent d'une façon médiate, c'est au moyen d'une contrainte mentale, qui s'appelle proprement contrainte, dans le cas où elle nous impose une façon positive d'agir, restriction, dans le cas où elle tendra à nous interdire d'agir d'une certaine façon déterminée 30. La surface de la terre pouvant se diviser tout entière en deux parties, l'une plus grande et l'autre plus petite, la restriction s'appellera confinement, dans le cas où la partie de la terre dont l'accès nous est interdit est plus grande que l'autre, bannissement dans le cas contraire. Si les actes malfaisants le sont immédiatement, ils sont ou mortels, ou non mortels. Si non mortels, ils sont réparables, et ce sont des injures corporelles simples, ou irréparables, et ce sont des injures corporelles irréparables. D'autre part, si le mal qui résulte de l'acte est éprouvé par la partie spirituelle de la personne, la peine éprouvée est ou d'appréhension,

et le délit s'appelle menace - ou de souffrance positive, et le délit s'appelle injure mentale simple. De là neuf genres de délits contre la personne, obtenus par dichotomie injures corporelles simples; injures corporelles irréparables; restriction injurieuse simple; compulsion injurieuse simple; confinement illégitime; bannissement illégitime; homicide illégitime; menaces illégitimes; injures mentales simples 31. Nous sommes parvenus au point où l'application de la méthode dichotomique nous ramène en présence des formes de délit connues, et où, les principes étant posés, il devient inutile, à moins de rédiger un code proprement dit, d'aller plus avant. Bentham poursuit l'application de la méthode de classification par dichotomie aux trois autres genres de la première classe: là, encore une fois, il s'arrête. Une analyse régulière ne saurait s'appliquer ni aux délits réflectifs (la question préalable se posant, de savoir s'il convient de légiférer à ce sujet), ni aux délits semi-publics ou publics, eu égard à la complication des circonstances locales 32.

La classification des délits, ainsi conçue, est une classification « naturelle », parce que, fondée exclusivement sur le principe de l'utilité, elle ignore les motifs qui peuvent avoir inspiré les actes dénommés délictueux, et ne tient compte, à la différence d'une classification<< sentimentale », que des conséquences, diversement nuisibles à la collectivité, de l'acte une fois commis. Elle est encore, dans l'esprit de Bentham, une classification « naturelle », par opposition à une

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