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savoir qu'on le regarde comme légalement obligatoire ». Or, il est aisé de voir que l'ordre dans lequel viennent d'être énumérées ces trois sources de l'obligation est exactement inverse de celui où elles devraient l'être si nous adoptions la conception professionnelle ou technique de l'obligation.

A ce dernier point de vue, en effet, la forme typique, parfaite, de l'obligation, c'est celle qui naît du contrat. De toutes les formes de l'obligation, celle-ci est, en effet, la plus formaliste: les deux parties ont été mises en présence et ont convenu, dans un acte en forme, de toutes les conditions auxquelles elles acceptent de se plier à l'avenir. Puisque les formalités ont été remplies à l'origine, l'engagement doit être respecté. Mais que dire alors du cas où l'obligation se fonde sur un «< service antérieur »? Le juriste qui conçoit l'existence d'un contrat préalable comme la source vraiment légitime de l'obligation s'en tirera par une fiction, dira qu'il y a là une obligation quasi ex contractu, que tout s'est passé comme s'il y avait eu contrat. En d'autres termes, là où le langage de l'utilité est simple et direct, la philosophie traditionnelle du droit est obligée de recourir à des fictions et à des détours d'expression. Enfin tous les systèmes juridiques, quels qu'ils soient, sont contraints d'admettre certains cas où l'obligation est fondée, purement et simplement, sur un « besoin supérieur». Même les juristes qui considèrent le pacte comme faisant loi par lui-même, le contrat comme sacré en tant que contrat, sont amenés à reconnaître qu'un

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contrat peut être cassé pour cause d'utilité publique, ou en cas de force majeure. Mais, par là, ils réfutent leur théorie elle-même. Si, en effet, le contrat doit être cassé, purement et simplement parce qu'il vaut mieux, au point de vue de l'utilité générale, qu'il ne soit pas observé, c'est donc que le principe de l'utilité, et non le principe du contrat, est souverain en matière de législation. Au lieu de considérer le cas de « besoin supérieur » comme une exception à la règle générale, mieux vaut considérer, tout au contraire, ce cas comme étant le cas typique et primitif. Les juristes, dans les cas où le contrat est annulé, se tirent généralement d'affaire en déclarant que le marché était nul en soimême : nouvelle et inutile fiction 5. Aucun marché n'est nul en soi-même, aucun n'est valide en soi-même. C'est la loi qui, dans chaque cas, leur donne ou leur refuse la validité. Mais, soit pour les permettre, soit pour les interdire, il lui faut des raisons. Pas plus en jurisprudence qu'en physique, il ne faut admettre de génération équivoque. Or, ce que le pacte sert à prouver, c'est l'intérêt des parties contractantes. Cette raison d'utilité fait sa force, et c'est par elle seule qu'on distingue les cas dans lesquels il doit être confirmé et ceux dans lesquels il doit être annulé.

Parmi les neuf cas énumérés par Bentham, où, à l'en croire, la loi ne doit pas ratifier le contrat, et où les intérêts des parties doivent être réglés comme si le marché n'existait pas", attachons-nous au premier, le cas de « réticence » indue, celui où l'objet acquis se

trouve être d'une valeur inférieure à celle qui avait servi de motif à l'acquisition, où, par exemple, ayant acheté un cheval, je m'aperçois qu'au moment de la vente certaine imperfection, peu visible, de l'animal, et qui le déprécie, m'avait été dissimulée. En ce cas, et sous réserve d'un certain nombre de considérations spécifiées, le contrat d'échange doit être annulé. La considération de l'utilité, le calcul des profits et des pertes, ne sont, d'ailleurs, pas aussi simples qu'on pourrait le croire; car, dans l'échange en question, l'une des parties a gagné autant que l'autre a perdu : pourquoi ne pas tenir le gain et la perte pour équivalents? C'est en vertu d'une proposition de pathologie mentale, fondamentale chez Bentham, et selon laquelle « bien de gain n'est pas équivalent à mal de perte ». Proposition qui se déduit elle-même de deux autres propositions. D'une part, tout homme s'attend naturellement à conserver ce qu'il a ; le sentiment de l'attente est naturel à l'homme, il se fonde sur le cours ordinaire des choses; car, à prendre la masse totale des hommes, non seulement la richesse acquise est conservée, mais encore elle est augmentée. Toute perte est donc inopinée, et produit une déception, une peine d'attente trompée. D'autre part, la défalcation (ou l'addition) d'une portion de richesse produira dans la masse du bonheur de chaque individu une défalcation (ou une addition) plus ou moins grande, en raison du rapport de la partie défalquée, ou ajoutée, à la partie restante, ou primitive. D'où l'inégalité de situation, entre celui qui

perd et celui qui gagne. Au jeu, par exemple, les chances en fait d'argent ont beau être égales, les chances en fait de bonheur sont toujours défavorables. Si je possède mille livres, et si j'en joue cinq cents, ou bien je gagne, et ma fortune est augmentée d'un tiers, ou bien je perds, et elle est diminuée de moitié. Si, possédant mille livres, j'en joue mille, ou bien je gagne, et c'est tout au plus si mon bonheur est doublé avec ma fortune, ou bien je perds, et mon bonheur est détruit. Telles sont les considérations, déduites du principe de l'utilité, sur lesquelles le législateur doit se fonder, pour déclarer non valables les contrats d'échange, dans certains cas où ils produisent plus d'inconvénients que de profits.

Est-ce à dire que les contrats doivent être annulés dans tous les cas où ils se trouvent en fin de compte désavantageux? Non, et ils ne doivent pas l'être, dans les cas où les événements défavorables ne sont que des faits accidentels, postérieurs à la conclusion du marché. L'invalidation doit être l'exception, et la ratification la règle. Non pas, encore une fois, que le pacte fasse loi, mais parce qu'il est utile, en règle générale, que les conventions soient respectées. Toutes les fois où un individu, possédant une chose, s'en dessaisit au profit d'un autre, ou bien, se trouvant capable de rendre un service, le rend à un autre, il renonce à un plaisir ou prend une peine; mais c'est ce qu'il ne saurait faire sans motif. Or, qui dit motif dit plaisir : plaisir d'amitié ou de bienveillance, si la chose se donne pour rien; plaisir

d'acquisition, s'il en fait un moyen d'échange; bien de la sûreté, s'il l'a donné pour se sauver de quelque mal; plaisir de réputation, s'il se propose par là d'acquérir l'estime de ses semblables. La somme des jouissances se trouve donc nécessairement augmentée pour les deux parties intéressées dans la transaction. L'avantage total des échanges avantageux est plus qu'équivalent au désavantage total des marchés défavorables. Les gains du commerce sont plus grands que les pertes, puisque le monde est plus riche à présent que dans son état sauvage. En résumé, toute aliénation emporte avantage, et c'est en raison de cette considération d'utilité que les aliénations, en général, doivent être maintenues. Il ne suffit pas, d'ailleurs, que les conventions soient sanctionnées par la loi; il est nécessaire qu'elles soient interprétées. En tout pays, la loi a suppléé, et a eu raison de suppléer, aux vues trop courtes des individus, en faisant pour eux ce qu'ils auraient fait pour euxmêmes, si leur imagination avait su anticiper la marche des choses. Parmi les obligations qu'un contrat, une fois signé, impose légalement aux parties contractantes, il faut distinguer 10 les obligations originelles, c'est-àdire celle dont il est fait expressément mention dans le contrat, et les obligations adjectices, c'est-à-dire celles dont les parties contractantes ont omis de faire mention dans le contrat primitif, mais que la loi juge à propos d'ajouter aux obligations originelles.

C'est alors que les juristes trouvent commode de recourir à la fiction des quasi-contrats. « Là où il n'y

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