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aucun besoin de les réformer; de sorte que Bentham, disciple du français Helvétius et de l'italien Beccaria, admirateur de Frédéric et de Catherine, écrit en langue française un livre qui paraîtra sur le continent, mis au net et édité par un Suisse. La doctrine est en avance sur l'époque. Vers le même temps, l'économie politique utilitaire, sous réserve des additions que feront plus tard Malthus et Ricardo à la doctrine d'Adam Smith, peut être également considérée comme fondée, avec la théorie de la valeur et la thèse du libéralisme commercial et industriel. Bentham adopte les idées, déjà populaires, d'Adam Smith. L' « Enquête sur la Nature et les Causes de la richesse des Nations» est contemporaine de la Révolution d'Amérique et de la chute du système mercantile : elle exprime fidèlement l'esprit de l'époque. En matière politique, enfin, les utilitaires sont des sceptiques et des autoritaires, indifférents aux moyens que les gouvernements emploieront pour détruire les préjugés et réaliser leurs réformes. C'est le temps, cependant, où déjà s'élabore, parmi les révolutions et les émeutes, le futur programme radical. La doctrine utilitaire, en matière politique, retarde sur l'époque.

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Jérémie Bentham naît en 1748, et les moindres incidents de son enfance révèlent qu'il est né à une époque de transition et de crise. Son père a été jacobite, mais a fini par se rallier à la dynastie de Hanovre'. Les femmes de la famille sont dévotes et superstitieuses, on raconte autour de lui des histoires de spectres, son imagination enfantine a été tourmentée de visions diaboliques 2; mais le père de Bentham lui a donné un précepteur français, qui lui fait lire «< Candide » à l'âge de dix ans 3. Le relâchement des mœurs, le déclin de la foi, tout au moins dans les classes éclairées, sont choses universellement admises et déplorées. Mais cette désagrégation des mœurs anciennes dissimule, en réalité, la naissance d'un monde nouveau. Un autre âge commence pour la société occidentale. En France, le

« siècle de Louis XIV » expire, ouvert par le « Discours de la Méthode», clos par le livre de Voltaire qui le dénomme et le consacre, le siècle classique, le siècle de l'ordre et de la loi; le siècle de la Révolution s'annonce, avec l'« Esprit des Lois », avec les premiers écrits de Rousseau, le siècle romantique, le siècle de l'émancipation religieuse, intellectuelle et morale. En Angleterre, Hume publie son « Enquête sur l'Entendement Humain »; Hartley, ses « Observations sur l'Homme ». C'est le siècle utilitaire qui commence, le siècle de la << Révolution industrielle », le siècle des économistes et des grands inventeurs. Voilà déjà cinquante ans que la crise se prépare; deux noms, contemporains de la Révolution de 1688, symbolisent l'ère nouvelle : « Locke et Newton », c'est une association de noms devenue proverbiale, en Angleterre et sur le Continent.

Toute l'intelligibilité de la loi consiste dans sa généralité. Dire qu'une relation est nécessaire, c'est dire non qu'elle est intelligible, mais qu'elle est constante. Pour qu'il me soit possible d'agir utilement sur la nature extérieure, il n'est pas nécessaire que je comprenne les relations des phénomènes entre eux, à titre de relations intelligibles, il suffit que ces relations soient constantes, et que je sois sûr de provoquer, par la production d'un premier phénomène, l'apparition d'un second phénomène, objet de mon désir: nul n'a besoin que son savoir aille plus loin que son pouvoir. Telle est la conception que se font les Newtoniens des lois de la

nature; elle s'accorde avec la conception nouvelle de la science, définie comme étant non plus contemplative et théorique, mais active et pratique, comme ayant pour objet d'assurer, par la connaissance des lois naturelles, notre domination sur la nature extérieure 5.

Il est possible, d'ailleurs, de procéder, lorsqu'on étudie la nature de l'homme individuel et social, comme procède, en d'autres matières, le physicien, et d'appliquer, ici encore, la méthode newtonienne à la détermination d'un nombre aussi petit que possible de lois générales et simples, qui, une fois découvertes, permettront d'expliquer, par voie synthétique et déductive, tout le détail des phénomènes. Il est possible, par suite, de fonder sur ces connaissances une science pratique, d'étendre notre pouvoir dans la même mesure où nous étendons notre faculté de prévoir. Le nom de Locke résume, pour l'opinion publique, cette préoccupation sociale, présente déjà à l'esprit de Hobbes lorsqu'il avait essayé de définir, par voie d'observation, la fin nécessaire de nos actions et l'ordre d'enchaînement de nos pensées, afin de constituer, sur ces bases, une politique rationnelle. Étant constituées une science de l'âme et une science de la société, qui présentent le caractère de sciences à la fois expérimentales et exactes, analogues à la physique newtonienne, pourquoi ne pas fonder, sur ces disciplines nouvelles, une morale et une législation scientifiques, achèvement de la science pratique universelle ? Tel est le problème que va se poser, pendant tout le siècle de Bentham, l'Angleterre pensante. Ce qu'on appellera

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