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pense implique toujours quelque part ailleurs l'infliction d'une peine, aller contre la nature des choses, et 'vouloir faire agir les hommes par l'attrait pur et simple du plaisir, ce qui est contradictoire: car agir, c'est travailler, et travailler, c'est souffrir 126. Sans doute, Adam Smith nous a paru céder aux préoccupations d'un optimisme rationaliste, lorsqu'il négligeait systématiquement tous les accidents introduits, dans le monde. économique, par les difficultés naturelles de production, lorsqu'il tenait compte, pour établir sa théorie de la valeur, des seuls objets « dont le travail peut indéfiniment accroître la quantité ». Il est acquis, cependant, par là même, que le travail doit être considéré comme une condition nécessaire de l'existence humaine, si l'on veut qu'une science économique soit possible; il est acquis que le travail seul mesure nos besoins, que, par suite, les besoins, ou, ce qui revient au même, les utilités, cessent de pouvoir être comparés et mesurés, dès qu'il y a abondance. De sorte qu'en fin de compte le libéralisme économique d'Adam Smith et de Bentham apparaît moins comme un optimisme absolu que comme une doctrine qui insiste perpétuellement sur les conditions, difficiles et pénibles, que nous devons subir, en raison de la constitution même des choses, lorsque nous nous attachons à la réalisation, méthodique et calculée, de nos intérêts.

II

DÉMOCRATES ET UTILITAIRES.

Quelles sont les causes historiques du mouvement d'opinion démocratique qui ébranle le monde anglosaxon, aux temps où Bentham commence à écrire? Sur quels principes philosophiques, plus ou moins explicites, se fondent les agitateurs? A quels signes peut-on, pressentir la fusion, lointaine encore, de l'idée utilitaire et de l'idée démocratique ? Mais comment expliquer, surtout, que l'attitude des principaux adeptes de la morale de l'utilité à l'égard des premiers démocrates semble avoir été d'abord, assez généralement, une attitude de défiance ou d'hostilité? Autant de problèmes délicats à résoudre, dans la confusion des idées politiques, dans l'enchevêtrement. des partis parlementaires.

C'est en 1776 que Bentham publie son premier ouvrage, le « Fragment sur le Gouvernement »>, où il

examine, chez Blackstone, les principes du droit public. Or, c'est en 1776 aussi que les colonies d'Amérique se déclarent indépendantes, après douze ou treize années de demi-rébellion. Les colons ont commencé par refuser d'acquitter des taxes que leurs assemblées locales n'avaient pas consenties. Pas d'impôt sans représentation, c'est là, prétendent les disciples de Locke, une des clauses du contrat originel; Hume trouve même, dans cette assertion, un argument contre la doctrine du contrat quelle valeur, en effet, peut-on attribuer à des opinions aussi éloignées de ce qui, partout sauf en Angleterre, est la pratique courante de l'humanité' ? C'est, à en croire lord Camden, une loi naturelle, une conséquence du droit de propriété. « Car tout ce qui est la propriété d'un homme est absolument sa propriété. Nul n'a le droit de le lui prendre sans son consentement exprimé soit par lui-même, soit par son représentant. Quiconque essaie de faire cela essaie de commettre une injustice. Quiconque fait cela commet un vol2. » Au refus des Américains de payer un impôt que leurs représentants n'ont pas voté, le ministère répond par la distinction des impôts intérieurs et extérieurs, et encore par la théorie de la représentation virtuelle. Si les Américains ne sont pas représentés réellement, ou en acte, au Parlement, ils le sont, du moins, virtuellement, au même titre que l'habitant de Manchester ou de Birmingham, qui n'envoie pas de représentants au Parlement et paie cependant les impôts votés à Westminster. Mais les Américains refusent d'ac

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cepter la doctrine de la représentation virtuelle, expédient juridique imaginé pour justifier, en Angleterre, un régime électoral incohérent, suranné, déformé par l'action du temps. A la théorie de la représentation virtuelle, ils opposent la théorie de la représentation réelle nul n'est représenté, qui n'élit pas son représentant. Théorie logiquement inséparable de la théorie du suffrage universel. Doctrine inscrite dans les constitutions locales de plusieurs des colonies d'Amérique, toutes plus républicaines que la constitution anglaise, quelques-unes purement républicaines. De sorte que, dans la lutte engagée avec la métropole, les colons d'Amérique se trouvent amenés naturellement, pour défendre les principes de la révolution de 1688, à poser des principes plus radicaux. Après avoir une première fois, en 1774, « déclaré » solennellement les «< droits » qu'ils possèdent, « par les lois immuables de la nature, les principes de la constitution anglaise, et les chartes ou contrats divers », les colons rompent définitivement, en 1776, avec la métropole, énumèrent, à l'exemple des Anglais de 1688, les usurpations commises par George III sur les droits de ses sujets, mais, à la différence des Anglais de 1688, font précéder cette énumération d'un exposé purement philosophique de principes universels. La révolution d'Amérique résout par le fait un débat théorique depuis longtemps engagé : une république à grand territoire est-elle concevable? ou bien la forme républicaine ne convient-elle qu'à de petits États? Sidney, au XVIIe siècle, penchait pour la seconde

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alternative, estimait le gouvernement démocratique seulement << propre pour une ville peu considérable », et c'est pourquoi il préférait, dans un grand État, gouvernement mixte3. Son opinion est partagée, au XVIIIe siècle, par la grande majorité des écrivains constitutionnels pour eux, une république, c'est la cité grecque de l'antiquité, la cité italienne du moyen âge, à la rigueur le canton suisse ou l'État de Hollande. Hume seul, toujours disposé à contester les idées reçues, fait des réserves que vient justifier la révolution d'Amérique. Un régime démocratique est possible seulement. dans une ville, ou sur un territoire de médiocre étendue, si l'on entend par démocratie le gouvernement direct du peuple par le peuple. Mais l'idée de représentation permet d'adapter à un grand territoire les exigences du régime; et l'idée de fédération permet d'étendre, à un territoire plus vaste encore, l'application du gouvernement démocratique. Pourquoi l'idée, apparue en Amérique, ne se propagerait-elle pas en Europe? La paix universelle, demande Price, un des plus ardents avocats, en Angleterre, de la cause américaine, ne serait-elle pas établie, le jour où les nations d'Europe se constitueraient en États-Unis à l'exemple des colonies d'Amérique?

Effectivement, l'idée démocratique, par l'intermédiaire de Price, de Priestley et de bien d'autres, passe, en cet instant précis, d'Amérique en Grande-Bretagne. John Cartwright, né en 1740, ancien officier de marine devenu écrivain politique, publie, en 17766, son Take

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