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système pénal incohérent, contradictoire, unissant la violence à la faiblesse, dépendant de l'humeur d'un juge, variant de circuit en circuit, quelquefois sanguinaire, quelquefois nul »

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Une théorie scientifique de la peine, définie comme un mal utile et nécessaire; une classification scientifique des délits et des peines, fondée sur la connaissance complète des conséquences, utiles ou nuisibles à la collectivité, d'un acte quelconque; une analyse des caractères que devra présenter la peine légale pour être susceptible d'une évaluation vraiment scientifique, et pouvoir, en conséquence, être proportionnée au délit, conformément à des règles méthodiques que Bentham énumère : ainsi se développe une philosophie du droit pénal qui ne recourt plus, comme la théorie de Montesquieu et des juristes, aux fictions de la «< nature des choses » et du talion légal. Les règles que pose Bentham sont, d'une part, absolument universelles : elles sont vraies, sans acception de temps ni de lieu. Elles sont, d'autre part, susceptibles d'une application rigoureusement exacte à tous les cas particuliers qui se présenteront. Ce sont les problèmes de droit pénal qui, les premiers, attirent l'attention de Bentham; et c'est la facilité même avec laquelle il a cru pouvoir employer, à la solution, en quelque sorte mathématique, de ces problèmes, le principe de l'utilité, qui l'a déterminé à croire que le même principe lui fournirait la solution de tous les problèmes moraux et législatifs. Rien ici, ou presque rien, de la

dualité de principes qui complique l'interprétation de sa philosophie du droit pénal; mais un principe simple, suivi méthodiquement jusque dans ses conséquences dernières 76. C'est que, chez Bentham, la philosophie du droit civil dérive de Hume, et la philosophie du droit pénal, au contraire, d'Helvétius: la tendance naturaliste s'évanouit, le rationalisme subsiste.

Mais cette confiance en la raison, qui inspire à Helvétius et à Bentham l'espoir de fonder une science, mathématiquement exacte, des peines légales, ne pourrait-elle faire concevoir aussi l'espérance qu'un jour viendra où, tous les hommes étant, par le progrès de la science, devenus raisonnables, toute contrainte légale, toute atteinte à la liberté des individus, deviendront superflues? C'est ce qui arrive un peu partout, autour de Bentham, vers la fin du XVIIIe siècle; et cette attente d'une ère prochaine d'émancipation absolue satisfait aux exigences du sentimentalisme régnant, auquel toute peine, toute contrainte, apparaît comme odieuse. Mais la philosophie de Bentham n'est ni un libéralisme ni un sentimentalisme. Sans doute, il arrive à Bentham de se trouver d'accord avec les libéraux pour protester contre l'oppression d'une corporation égoïste, avec les sentimentaux, pour dénoncer la rigueur excessive des peines. Mais, d'un accord partiel sur les conséquences, ne concluons pas à l'accord sur les principes. Bentham ne veut pas placer la liberté au nombre des buts de la loi civile, il ne la tient que pour une forme secondaire de la sûreté”. Il ne veut pas qu'elle soit le véritable

moyen à employer en vue de l'intérêt général : sa philosophie est essentiellement une philosophie écrite à l'adresse des législateurs et des hommes de gouvernement, c'est-à-dire à l'adresse des hommes dont la profession est de restreindre la liberté. Il se défie, d'ailleurs, de la sensibilité, oppose la raison au sentiment déjà il donne à la philosophie réformatrice, en Angleterre, la couleur qui la distinguera de la philosophie humanitaire, régnante au pays de Rousseau, et même au pays de Beccaria. Disciple d'Helvétius, il tient l'homme pour un animal, capable de plaisir et de peine, et le législateur pour un savant, qui connaît les lois auxquelles obéit la sensibilité humaine; il n'espère pas supprimer la souffrance, mais plutôt il confisque, au profit du législateur, avec la connaissance de l'utile, le pouvoir d'infliger les peines, afin d'identifier artificiellement les intérêts. C'est à la raison du législateur qu'il appartient, despotiquement et méthodiquement, par des souffrances imposées aux individus, au mépris de leurs protestations instinctives et sentimentales, de faire en sorte que, finalement, dans la collectivité, la somme des plaisirs l'emporte sur la somme des peines.

III

LA DOCTRINE ET L'ÉPOQUE

L' << Introduction des Principes de Morale et de Législation » paraît, après bien des délais, en 1789, mais n'attire que médiocrement l'attention du public. C'est en 1788 que Bentham rencontre son futur rédacteur et éditeur, Dumont de Genève, et de longues années s'écouleront encore avant que paraissent les « Traités de législation civile et pénale ». Lord Shelburne, premier marquis de Lansdowne, et depuis trois années protecteur de Bentham, découvre, en 1785, Samuel Romilly, avocat, jeune et obscur encore1. Romilly a fait par Brand Hollis la connaissance de Mirabeau, par Mirabeau celle de Benjamin Vaughan, par Benjamin Vaughan, enfin, celle de lord Lansdowne, qui lui demande des renseignements sur un ancien pasteur nommé Dumont, de nationalité suisse, dont il songe à faire le précepteur d'un de ses fils. Les relations de lord Lansdowne

et de Romilly deviennent intimes; Bentham, à son retour de Russie, en 1788, vient passer quelque temps au château de Bowood 2, y rencontre Romilly, qu'il a déjà connu à Lincoln's Inn, et Dumont, à qui Romilly communique quelques manuscrits de Bentham. La même année, Dumont va passer, en compagnie de Romilly, deux mois à Paris; Mirabeau, par l'intermédiaire de Wilson 3, voit Dumont à l'hôtel où il est descendu avec Romilly, fait sa conquête. Dans l'espace de quelques mois, grâce à Romilly, Dumont de Genève a trouvé sa voie, comme secrétaire intime de Mirabeau, d'une part, et, d'autre part, comme disciple, éditeur et rédacteur de Bentham. Mais on voit quel concours de circonstances particulières il a fallu pour que Bentham trouvât un rédacteur. Si Bentham a été trop paresseux pour éditer ses propres ouvrages, s'il a fallu qu'un écrivain français se présentât pour les publier, à Paris, dans une langue étrangère, si, en conséquence, c'est après de longues années seulement que Bentham pourra, par un détour aussi étrange, exercer une influence sur ses compatriotes, ne sommes-nous pas en présence d'un cas typique, où se révèle l'action des petites causes, des accidents individuels, sur l'histoire?

En fait, ici même, dans la préparation de cet événement particulier, des causes générales sont en œuvre. Ce n'est point parce qu'il est d'un tempérament paresseux que Bentham laisse à un autre, à un étranger, le soin de publier ses œuvres; aussi bien il consent à publier, en langue anglaise, cette « Introduction aux

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