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classification « technique », parce qu'elle ignore les peines dont les tribunaux, dans un temps et un pays donnés, ont coutume de frapper les actes jugés délictueux. Bref, elle ignore les préjugés locaux; par où le système « naturel » de jurisprudence, au sens où Bentham l'entend, se rapproche du « droit naturel », au sens classique de l'expression. Le droit ancien, celui dont Bentham réfute les généralités arbitraires, distingue entre des lois naturelles, éternelles et universelles, et des lois positives, variables avec les temps et les lieux. Mais l'analyse de Bentham a le double mérite de démontrer que cette distinction est vaine (car toutes les lois sans exception sont ou doivent être fondées uniquement sur un calcul d'utilité) et de l'expliquer, de lui donner une justification relative dans un système fondé sur le principe de l'utilité. L'analyse des délits, nous dit Bentham, a été menée par lui jusqu'au point où les divisions obtenues cesseraient de valoir pour toutes les nations sans exception. Et c'est pour cette raison qu'il a poussé l'analyse de la classe des délits privés plus loin que celle des autres classes. Car la première classe des délits est privilégiée. Les délits privés présentent, entre autres caractéristiques, celle d'être partout, et de devoir être partout réprouvés par la censure de l'opinion d'une façon plus énergique que les délits semi-publics en tant que tels, et surtout que les délits publics; d'être réprouvés d'une façon plus constante par l'opinion que ne le sont les délits réflectifs (ils le seraient universellement, n'était l'influence

exercée par les deux faux principes de l'ascétisme et de l'antipathie); d'être moins aptes que les délits semipublics et publics à recevoir des définitions différentes selon les états et les pays (par où ils ressemblent aux délits réflectifs) 33. Ces trois caractéristiques, et surtout la dernière, expliquent pourquoi ces délits ont été tenus par les juristes pour constituer autant d'infractions à une loi naturelle supposée douée d'une existence supérieure aux lois écrites de tous temps et de tous pays. Cette loi naturelle est, aux yeux de Bentham, une fiction. Elle correspond cependant, on le voit, dans son système, à une réalité 34. Rien ne ressemble moins à l'empirisme d'un historien, d'un « antiquaire », comme Montesquieu, que la doctrine de Bentham. Ce que Bentham enseigne, avec des formules nouvelles, c'est encore un droit fondé sur la connaissance de la nature universelle de l'homme (Bentham emploie le mot en ce sens), capable de servir pour la jurisprudence de toutes les nations, « dont la langue servira de dictionnaire pour expliquer tous les systèmes de droit positif, dont le contenu servira de modèle pour les juger tous » 35.

Mais le législateur ne définit les délits qu'en vue de les prévenir par des peines. Reste donc, après avoir défini et classé les délits, à définir et à classer les peines. Or, dans la philosophie de l'utilité, le délit et la peine, qui diffèrent par leurs effets, ne diffèrent point par leur nature intrinsèque les peines et les délits sont également des maux infligés par la libre intervention de l'activité des hommes. Il est donc à prévoir que

la même division qui s'applique aux délits s'applique aux peines, que le catalogue des peines est le même que celui des délits on ne peut effectivement punir un individu qu'en le frappant dans sa personne, dans sa propriété, dans sa réputation, ou dans sa condition. Les peines qui affectent immédiatement la personne, dans ses facultés actives ou passives, constituent la classe des peines corporelles. Bentham les subdivise à leur tour; et, bien que cette division nouvelle ne soit pas de tous points symétrique, chez Bentham, à la subdivision en genres des délits contre la personne, il n'est pas moins vrai moins vrai que, d'une part, la symétrie est aisée à établir 36, que, d'autre part, Bentham, pour établir la table des délits contre la personne, n'a souvent fait que prendre des noms de peines et les appeler délits par une simple transposition (confinement illégitime; bannissement illégitime). Quant aux peines qui affectent la propriété, la réputation ou la condition, elles présentent ce caractère commun de priver l'individu de quelque avantage dont il jouissait auparavant : en face de la classe des peines corporelles, elles peuvent être considérées comme formant la classe unique des peines privatives (les « forfaitures » du droit anglais).

Il ne faudrait pas, seulement, que cette symétrie des délits et des peines engendrât une illusion trop naturelle, et qu'en vertu d'une sorte de loi du talion chaque délit fût considéré comme devant subir la peine qui lui est intrinsèquement analogue. D'une part, cette symétrie,' en effet, n'existe qu'entre les peines en général et les

délits de la première classe; et les délits de la première classe diffèrent précisément des délits de toutes les autres classes en ce que seuls ils admettent la possibilité de l'application du talion 37. Mais faudra-t-il s'abstenir de définir les peines qui conviennent contre tous les autres délits? D'ailleurs, la notion du talion ne satisfait en aucune manière au principe de l'utilité. Les hommes sentent, en général, qu'il doit y avoir proportion entre la peine et le délit. Mais, tandis que le principe du talion, pour satisfaire à un besoin en quelque sorte professionnel de symétrie, réclame entre ces deux termes, sans raison, une proportion qualitative, le principe de l'utilité exige une proportion quantitative : il faut que le mal de la peine, connu à l'avance du criminel possible, compense le bien qui résulte du délit pour le délinquant, et prévienne par suite le délit. Venant après Montesquieu, qui du moins a eu ce mérite d'appeler, en matière de droit pénal, l'attention sur l'idée de proportionnalité 38, Beccaria semble avoir compris cela toute peine, écrit-il, « doit essentiellement être publique, prompte, nécessaire, proportionnée au délit, la plus petite des peines possibles dans les circonstances données et dictée par les lois » 39. Mais Bentham ne considère tous ces éléments énumérés par Beccaria que comme autant d'éléments de la proportionnalité elle-même. Quelles qualités doit présenter la peine pour que la proportionnalité de la peine au délit puisse être établie, pour qu'une arithmétique législative soit possible? Quelles sont les règles qui

doivent présider à l'établissement de cette proportionnalité ?

Bentham, dans l'«< Introduction aux Principes de la Morale et de la Législation », assigne aux peines légales onze qualités distinctes; mais, de son propre aveu, ces onze qualités ne présentent pas une importance égale. Une, la onzième, la qualité de rémissibilité, a pour objet de pallier un mal accidentel, de parer aux erreurs judiciaires. Trois sont groupées ensemble par Bentham, comme visant à atteindre ce qu'il tient pour être trois fins secondaires de la peine la réformation morale, l'incapacitation du coupable, la compensation à la partie lésée. Restent sept propriétés, qui doivent rendre la peine apte à intimider les coupables possibles, par l'exemple 40. On peut les répartir elles-mêmes en trois groupes.

Quatre ont pour objet de définir la valeur réelle de la peine.

D'abord, puisque toute peine est un mal, il faudra que la peine puisse toujours être réduite au strict nécessaire, qu'elle présente ce que Bentham appelle la propriété de frugalité, ou d'économie : « C'est la perfection de l'économie dans une peine, quand non seulement il n'y a pas de peine superflue pour la personne punie, mais quand la peine qu'elle subit produit un plaisir pour une autre personne »; les peines pécuniaires, qui consistent simplement dans l'obligation, pour la personne coupable, de dédommager la personne lésée, satisfont à cette condition. En second lieu,

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